mardi, décembre 19, 2006

26 – Aux grands mots

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La théorie de Tugdual se défendait, en effet j'avais donné l'apparence d'une petite amie plutôt détachée durant les semaines précédentes. Mais m'accuser d'indifférence et me dire que je sortais avec lui par pitié pour sa solitude, c'était proprement odieux, c'était faire fi de nos longues conversations si tendres, de notre complicité, de ces moments de bonheur dans les bras l'un de l'autre.
Aussi ma peine fit place à une colère immense, qui s'abattit sur lui avec la fureur d'une tempête de novembre. Je l'accusai à son tour d'essayer de se débarasser de moi avec un procédé qui manquait singulièrement d'élégance -mais en usant de mots plus fleuris- et que s'il trouvait que j'étais un mauvais coup au lit, il n'avait qu'à me le dire et on n'en parlerait plus, même si j'aurais beaucoup de peine à le croire – ce que je dis avec un semblant de suffisance, force m'est de l'admettre-.

Toujours est-il que nous nous chamaillions fameusement, et ce pour la première fois de notre relation. Tant et si bien que Coralie nous poussa à coup de pieds aux fesses jusqu'à l'escalier menant à l'étage, protestant qu'elle ne pouvait pas se concentrer dans ces conditions et qu'elle trouverait bien à dormir ici en bas.

Nous nous trouvâmes donc, fumant et rageant, au milieu de mon salon en désordre, à essayer de nous souvenir des insultes que nous nous réservions encore, lorsque mon téléphone sonna. Je m'approchai de la console sur laquelle il était posé quand Tugdual trouva intelligent de me faire remarquer que quand ce n'était pas lui qui téléphonait, je décrochais.

J'aurais pu faire ma tête de cochon, et ne pas répondre à la lancinante sonnerie pour lui donner tort. Je fis ma tête de laie. Je décrochai. Pour raccrocher aussitôt. C'était ma mère. Le téléphone sonna derechef, et je me croisai les bras, fulminant. Décidément, cette harpie n'avait aucune vergogne.
A la tête renfrognée que je devais faire, Tugdual se mit à hocher la tête puis à faire les cent pas, rangeant ici une revue ouverte en vrac, là un torchon posé sur le dossier d'une chaise. La sonnerie n'en finissait pas de retentir, de son volume strident et envahissant, interdisant d'engager toute conversation.
Tugdual eut bientôt fini de ranger le salon, non sans avoir découvert entre les coussins du canapé une petite culotte en dentelle perdue lors de notre dernière entrevue, ce qui finit par nous dérider tous deux.

Lorsque le téléphone nous laissa enfin en paix, Tugdual m'interrogea.

_ Que voulais-tu prouver, au juste ?

Un sourire ironique aux lèvres, je répondis :

_ Tu n'es pas crédible avec ta mauvaise foi de pacotille. Je te donne cours quand tu veux.

_ Oh, ça, je ne te disputerai pas le titre. Qui c'était, alors ?

_ Tu vas me faire une crise de jalousie maintenant ?

_ C'est une simple question, tu montes tout de suite sur tes ergots...

Parmi toutes les allusions qu'il pouvait faire, celle à notre première rencontre était la plus déloyale. Je me revis en poule de carton pâte, faisant les frais de ses blagues sur mes cuisses engageantes lors de la soirée de Séverine, et je fondis en larmes.

Totalement désarmé, Tugdual ne sut que faire d'autre que me prendre dans ses bras, et sa tendresse fit redoubler mes sanglots.

Pendant de longues minutes, il me berça ainsi contre lui, caressant mes cheveux, appuyant son menton sur ma tête, m'entourant la taille de sa chaleur, et une tiède torpeur vint endormir ma peine inarticulée.

Je savais que je lui devais une explication, un mot aurait peut-être suffi... notre amitié m'avait donné l'occasion de lui parler de mes relations très... inégales avec mes parents, spécialement avec ma mère aventureuse et instable, fort prompte à me livrer à moi-même dès mon plus jeune âge.
Mais rien ne vint, mes lèvres étaient scellées, ma gorge verrouillée.