vendredi, juillet 28, 2006

19 - Un train nommé

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Régulièrement, je monte à Paris, pour acheter ma matière première, voir d'éminents confrères, suivre des conférences, des formations complémentaires, bref, rester opérationnelle.

Evidemment, je ne me ballade pas avec mes pierres en rentrant. Ce n'est pas tant le fait que ça coûte très cher et que mon assurance, qui coûte encore plus cher, ne me couvrirait pas. C'est surtout que la première fois que j'ai ramené avec moi un de ces joujoux, ça s'est très mal terminé.

D'une manière générale, il ne faut pas me laisser prendre le train à moins que les deux gares soient des terminus. En voiture, pas de problème, j'ai un sens de l'orientation rudimentaire et la chance de savoir lire les panneaux indicateurs, bien que dans certaines contrées et en particulier à Paris, cela relève de la gymnastique oculaire de niveau olympique.

Et puis, au volant, en théorie, on ne s'endort pas. On fait le maximum, en tout cas. A part les fieffés tarés qui vissent leurs chauffeurs routiers à leurs camions plus de 48 heures d'affilée.

Mais cette fois-là, ma toute première, pleine d'émotions, j'étais sur le point d'ouvrir ma boutique, pensez un peu si j'étais sur les nerfs, j'avais renoncé à prendre ma Mini, histoire de ne pas ficher une peur bleue à l'automobiliste moyen qui eût pu croiser ma route.

Sage et raisonnable comme rarement, j'avais donc fait l'acquisition d'un titre de transport auprès de la société nationale des chemins de fer français, et avais benoîtement coincé mon derrière alors un chouïa volumineux (le stress ça fait grossir. Enfin, moi, ça me fait grossir... et je maudis toutes celles que ça fait maigrir, Séverine comprise) entre deux accoudoirs de seconde classe.

A l'aller, pas de problème. J'étais assise à côté d'un très charmant jeune homme. Inutile de dire que nous avons incontinent visité certaines parties assez inconfortables du TGV et que nous avons suffoqué une ou deux vieilles rombières en sortant totalement ébourriffés et débraillés.

Les premières fois, c'est toujours, comment dire, exaltant. L'excitation, le besoin de se défouler pour se détendre, la sensation de braver un tabou et de réaliser un fantasme... j'ai simplement un regret, c'est le bruit que fait le train à 320 km/h. Je ne suis pas persuadée que quelqu'un ait pu percevoir la fougue et l'issue tonitruante de nos ébats.

Je n'ai pas retenu le prénom du jeune homme, seulement l'horaire du train. Si jamais je retourne à Paris en train, j'emprunterai le même ; on ne sait jamais. Je pourrais bien retomber sur lui, sa femme et ses deux gosses en bas âge dont il n'a sûrement pas omis de s'encombrer depuis qu'il a jeté sa gourme au-dessus des WC chimiques, me susurrant des conchecetés dans l'oreille en se regardant dans la glace. Vu sous cet angle, ça fait vulgaire, comme dirait Séverine, mais je vous assure que les fibres de mes reins à mes orteils me remémorent une extase divine.

Au retour, j'avais mis l'opale rose dans une poche de ma veste. Le problème majeur, c'est que, puisque tout s'était bien passé (à part que je me suis fait arnaquer sur deux ou trois saphirs qui étaient de n'importe où sauf de Birmanie, mais ça, c'est ce qu'on appelle le dessalage, le bizuthage, le baptême du feu...), et que j'étais encore tout étourdie de ma matinée mouvementée à l'aller, j'étais complètement détendue.

Au point que, bien sûr, je me suis endormie comme une bienheureuse. Je suis même convaincue que j'ai ronflé tout mon soûl, pour la peine.

Le retour était tardif, je n'avais pas de voisin, je m'étais donc à demi allongée à cheval sur les deux places, en seconde classe ce n'est pas la gloire, mais que voulez-vous, la jeunesse n'a pas besoin de luxe pour dormir. De sorte que lorsque le contrôleur m'a éveillée pour les billets, j'ai sursauté comme un gamin pris la main dans le pot de Nutella (pourquoi dit-on toujours le pot de confiture dans l'expression originale ? C'est bon, la confiture, mais ça m'étonnerait qu'un galopin d'aujourd'hui ferait l'acrobate et risquerait la calotte pour une cuillerée de confiture... alors que si mon supposé rejeton s'avisait de chaparder mon Nutella, il ferait dix tours dans ses chaussettes sans toucher les élastiques. Mais non je ne suis pas vindicative). Ma veste, qui était judicieusement étalée sur mes genoux, a fait un vol plané. Je l'ai ramassée en hâte, toute rouge et tremblante comme s'il allait me tomber un skud sur la figure, j'ai tendu mon billet au contrôleur, et là il m'a dit :

_ « Mais mademoiselle, vous avez manqué votre arrêt ! Nous allons arriver dans quelques minutes à Brest ! Votre billet était pour Rennes ! »

Ne croyez-vous pas que cet ahuri aurait pu me contrôler entre Paris et Rennes ? Il y a deux heures de trajet, un arrêt au Mans, une rame à contrôler, ils sont deux, mais non, ils contrôlent les billets entre Rennes et Brest.

Pour comble, il voulait me mettre une contravention. J'ai protesté énergiquement, demandé à voir son chef (il y a toujours un chef de train, j'en suis persuadée. Il y a bien des chefs de gare, alors...). Il m'a donc priée de le suivre. Et là, j'ai pris ma veste et mon sac, je me suis levée et l'ai suivi. Sans regarder derrière moi et vérifier que je n'avais rien oublié à ma place.

Cruelle erreur.


Le temps d'arriver à Brest, d'y passer une nuit d'hôtel (c'était évidemment le dernier train), de rentrer à Rennes, je ne me suis aperçue de la disparition de l'opale que bien après, et j'ai mis plus d'une semaine à retracer les événements : j'ai dû la perdre en faisant voler ma veste lorsque le contrôleur m'a réveillée.


Ce voyage m'a donc coûté, en plus des frais habituels, un billet de train, une nuit d'hôtel, une magnifique opale rose et quatre séances de kinésithérapeute. Oui. Si jamais vous profitez d'une aubaine ferroviaire inespérée, veillez bien à ne pas poser vos pieds sur la cuvette, vous risqueriez de glisser et de vous faire un lumbago. Sans compter que les angles du lavabos et du dérouleur de papier sont vos pires ennemis.


Voilà pourquoi j'ai considérablement réduit mes déplacements en train depuis.


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