vendredi, septembre 08, 2006

20 - Week-end créatif

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C'est en vue de préparer ma collaboration avec Coralie, ma copine orfèvre de Nantes, que je montai à Paris ce mardi-là. J'avais soigneusement protégé le coffre de ma Mini pour ramener un bloc de lapis-lazuli et un autre de turquoise, dérogeant ainsi à mon sacro-saint principe dit de l'opale rose.

Ma théorie, enfin celle que j'exposai à mon assureur devenu verdâtre à cette nouvelle, était que, dans la mesure où je roulais en Mini, que je n'avais aucune étape à faire entre Paris et Rennes, et qu'en outre j'avais l'air de tout sauf d'un convoyeur de fond, je ne risquai guère de me faire «car-jacker» sur le bord de la route. Et puis, l'entrepôt de stockage auquel je me rendais était suffisamment pourvu de dispositifs de sécurité pour assurer la discrétion du chargement.

Ce que je ne lui disais pas, c'est que mon horoscope était tout à fait favorable. Je savais intuitivement qu'il serait tout à fait hermétique à cet argument pourtant hautement scientifique. En effet, on ne dit jamais assez que l'astrologie chinoise (oui, quand même, je reste sérieuse) est le fruit de plusieurs siècles d'observation et qu'elle demeure pour le moins infaillible. C'est une certitude que je partage avec ma cousine, et je crois que c'est à peu près la seule. Mais ce point commun est de taille.

Je m'acheminai donc par autoroute jusqu'à la capitale, que je trouvai ployée sous le poids des embouteillages, de la pollution et de la bruine poisseuse de ce mois de novembre. Les grèves des transports en commun faisaient la joie des laveurs de carreaux à la sauvette, que l'on ne peut pas davantage chasser qu'une mouche en été quand on a mangé du melon. Les deux heures que je passai à poireauter entre la porte d'Orléans et la porte de Bagnolet me furent néanmoins providentielles, dans la mesure où, l'oreille capturée par la radio, je pus entendre une mélodie fort agréable et peu commune, à savoir un mélange de cornemuses bretonnes et de percussions africaines.

Ce fut une véritable révélation.

Voilà ce que je rêvais de faire, sous forme de bijoux. Ce mélange de cultures, cet entrelacement du cosmos celtique et de la mystique vaudoue, des amulettes à double face.

Dès mon retour, je sortis les blocs de mon coffre, qui avaient effectivement échappé à la convoitise d'hypothétiques bandits en goguette, pour la plus grande joie de mon pauvre assureur.

Je suis convaincue que cet homme devrait changer de métier. Il porte sur lui les symptômes de l'ulcère à l'estomac version gouffre de Padirac. Les yeux globuleux, le visage luisant, les cheveux mous et pendants, les mains fébriles toujours enfoncées dans sa poche à triturer un pauvre carré de Cholet qui ne leur a rien fait... être anxieux à ce point, ça relève de la Faculté. Je suis sûre qu'il ne descend pas en dessous de 18 de tension. Il y a une contradictoin étonnante à faire ce métier-là quand on est une pelote de nerfs, quand même. Il y a pourtant quelques emplois réputés pour leur qualité apaisante, admirablement décrits par Georges Courteline dans Messieurs les Ronds de Cuir... Il faut qu'un jour je songe à lui offrir cet ouvrage, ne serait-ce que par acquit de conscience. Cet homme est en danger de mort, j'en suis certaine.

Une fois les amortisseurs de Mimi soulagés (Mimi c'est ma Mini, évidemment), je me hâtai de téléphoner à Coralie pour évoquer avec elle ma grande idée. Enthousiaste, elle me rejoignit le vendredi, et nous passâmes le week-end à dessiner, papoter, sans oublier de fêter notre indéniable génie avec la dignité qui convient, rue de la Soif, le samedi soir.

Il était dix heures le dimanche matin lorsque je me pris à le regretter amèrement. Ce n'est pas tant le mal de tête ou l'irrésolution digestive. Une fêtarde avisée sait pertinemment qu'en évitant les mélanges et en s'administrant deux Alka-Seltzer en fin de cérémonie, on évite partiellement ce genre d'inconvénient, en s'assurant toutefois de ne pas ingérer d'antihistaminique ou autre anxyolitique.

A cette heure, donc, tout au plus avais-je la bouche pâteuse, mais je dormais encore pieusement, et le réveil fut tonitruant.


Il faut signaler que ce jour-là, je fêtais mon anniversaire. Fêter est un grand mot, passé 30 ans j'avais renoncé à convier mes copains pour cette occasion funeste et parfaitement incongrue.


Donc, ce matin-là, à neuf heures et demie, un bon samaritain, qui n'était pas ma cousine, laquelle en chat échaudé se serait abstenue avec grand soin de me réveiller avant midi un dimanche, surtout celui-là; un bon samaritain, disais-je (Pierre Desproges a connu ces moments d'égarements digressifs et parlait d'insolentes interruptions par lui-même) eut l'idée benoîte de me faire la surprise d'un petit déjeuner fleuri au lit.

Comme je ne répondais pas, et pour cause, je m'étais couchée trois heures auparavant... enfin, couchée, c'eût été trop simple justement. Disons que Coralie et moi avions, vers six heures du matin, cherché le chemin du retour avec une persévérance confinant à l'héroïsme compte tenu du brouillard éthylique s'obstinant à obscurcir nos radars respectifs. Et, épuisées par notre baroud d'une demie heure (pour marcher cent cinquante mètres et monter un escalier, surtout monter un escalier), nous nous étions tout bonnement affalées, à peine déshabillées (quoi que notre tenue n'était pas à proprement parler de saison et se laissait volontiers prendre pour un modeste morceau de tissu), sur le canapé du salon.

Donc, comme je ne répondais pas en dépit de son insistance : il avait tout tenté, coups de poings, sonnette ininterrompue de trois minutes, téléphone, le brave garçon affollé de mon silence s'était résolu à enfoncer la porte par ailleurs simplement ouverte (ce qui était un miracle, dans notre état, nous aurions aussi bien pu ne jamais trouver le trou de la serrure pour y enfoncer la clef perdue au fond de mon sac).

Le pauvre, une fois la frayeur dûe à sa propre brutalité passée, eut un moment d'incertitude devant le spectacle qui s'offrait à lui... enfin... sous lui, pour parler juste, car la porte ouverte conjuguée à la force déployée avait fait de son mouvement un parfait tremplin vers notre position stratégique, et il avait lourdement atterri sur mon orteil gauche, provoquant une révolte inconsciente de mon corps engourdi et interrompant fort indélicatement mon sommeil (et non celui de Coralie que mon corps protégeait comme un rempart de cette intrusion subite).

Là, dans le canapé, à portée immédiate de ses mains jetées en avant dans le réflexe de parer sa chute, le visiteur recouvrait une montagne indécente de chairs roses et épilées. Au cours de la nuit, l'une de nous deux (laquelle ?), transie de froid, avait heureusement eu le réflexe de nous recouvrir vaguement d'un plaid orange et jaune, laissant juste entrevoir ce qu'il fallait de nos bras et de nos jambes qui pendaient en s'entremêlant curieusement, formant un tableau pour le moins équivoque pour un hétérosexuel moyen royalement porteur de croissants et de bouquet.

Pour mon anniversaire, Tugdual voulait une nouvelle fois me faire une surprise, et une nouvelle fois c'était lui qui l'avait eue.

Sortie de ma torpeur alcoolisée, je grognai de terreur, et, plus scandalisé qu'abasourdi, habitué qu'il était à ma fantaisie ordinaire, il s'enfuit.

Je mis plusieurs heures à réaliser que les roses jetées à terre sonnaient le glas de ce qui avait été une brève tentative de retrouvaille.

Coralie, fine mouche, imita admirablement la migraine qui m'avait épargnée, en me martelant le reste de la journée que, si je tenais à lui, je devrais faire le prochain pas.


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