vendredi, septembre 30, 2005

2 - Rennes

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L’échec de son premier mariage la hanta longtemps, cependant elle refusait la solitude, qui était synonyme, pour elle, de déshonneur féminin. D'ailleurs, j'étais à ses yeux une âme perdue, et je devais, à chaque fois que nous nous rencontrions, essuyer ses sermons pleins de bons sentiments et de valeurs ancestrales. Je ne lui en voulais pas car elle était ma confidente et savait que je n'étais pas aussi superficielle que ma vie pouvait le laisser penser. Néanmoins son côté formaliste m'inquiétait réellement. Elle ne tarda pas à me prouver que j'avais raison de m'en faire.

La ville de Rennes est splendide sous la pluie. Une des rares, d’ailleurs, à avoir du caractère dans la grisaille. Elle a beau être minérale, elle est néanmoins chaleureuse. Les moellons oranges, les boiseries travaillées, les lumières derrière les fenêtres à meneaux…La Bretagne est belle, souvent sauvage. Rennes, en son cœur, subit les outrages du temps norois avec l’élégance imperturbable d’une citadine affable et souveraine. Je m’y suis toujours sentie chez moi. J’y ai élu domicile dès que j’ai pu m’y installer à mon compte.

Mon nouvel appartement, le deuxième, était situé dans le quartier des Lices. Mon bureau, un réduit poussiéreux mais lumineux au rez-de-chaussée du même immeuble, communiquait avec l’appartement par une sorte d’escalier « rompe-cuello », comme disait Pablo, mon premier amant local.Le modeste deux pièces, avait contenu ce soir-là une quarantaine de personnes. A l’instar de tout le bâtiment, mon domicile sentait la pierre humide et le bois putréfié, mais il y faisait chaud tout de même. De sorte que mes nombreux invités finissaient par étouffer.

Ma cousine arriva en retard, et comme j’étais occupée à refaire des glaçons, ce fut Paul, un ami d'amis, qui lui ouvrit.
Ils eurent le coup de foudre. Me dirent-ils. Si j’avais su ce qui allait se passer, je me serais bien gardée de les mettre en présence…


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mercredi, septembre 28, 2005

1 - Séverine

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Lorsque mon adorée cousine Séverine s’est mariée la première fois, je n’ai pas fait grands cas de ses manœuvres pour me rapprocher du frère de sa moitié, Jacques… Il n’était pas dupe non plus, mais comme je faisais l’innocente, il essayait d’en profiter honteusement. Nous flirtâmes un peu. Jusqu’à ce qu’il m’invite à danser au cours de la réception. Il est des hommes qui ont une incommensurable science du ridicule... J’étais tellement secouée par les rires que j’essayais courageusement d’étouffer, que j’ai fini par rester plantée au beau milieu de la piste… je venais de me faire pipi dessus, et je n’arrêtais pourtant pas de rire, à en pleurer ! Beau spectacle qu’une femme pliée en deux, le visage déformé avec le maquillage en train de couler, en fourreau moulant, juchée sur des talons aiguilles et surplombant une flaque suspecte au milieu d’un parquet ciré, sous les lustres en cristal… Le narcissisme est un refuge très relatif, après de tels épisodes…

Séverine s’est fâchée avec son premier mari dès leur retour de lune de miel.

Lors de nos soirées de bavardage insensé et romantique à souhait, elle m’était apparue sous un autre jour que celui sous lequel je la connaissais. La fillette très vive, assez sportive d'ailleurs, extrêmement volontaire et parfois même capricieuse, disparaissait petit à petit derrière l'adolescente éthérée qui n’aspirait qu’à la tendresse et à la paix dans l’affection d’un gentil garçon dévoué et protecteur.

A la lumière de ses mariages naufragés, le paradoxe flagrant de sa personnalité, à la fois farouchement affirmée et profondément dépendante de l'affection des autres, m’apparaît aujourd’hui une vaste illusion. Elle aspirait à la paix non avec un autre, mais avec elle-même. Et elle aura mis plus de quinze ans à la trouver. Mieux vaut tard que jamais.

Personnellement, je ne suis pas la mieux placée pour donner des conseils. J’ai eu beau choisir mon mode de vie très tôt, chérir ma liberté et m'en croire heureuse, je ne m’en étais pas moins trompée sur moi-même et sur mon autosuffisance. Nul ne sait vraiment qui il est… Ceux qui vous prétendent le contraire se mentent honteusement à eux-mêmes, et le plus grave, c’est que souvent ils mentent aux autres aussi.

C’est ainsi que Joël, le premier heureux élu de Séverine, s’est aperçu du vrai visage de ma cousine, le jour de leur arrivée à l’hôtel, à l’Ile Maurice. La moindre contrariété, obscurcissait très vite les traits de la chère enfant. Cette contrariété-ci était fort déplaisante, il est vrai : la chambre qui leur était réservée avait été relouée, et l'hôtel était complet. Ce qui eut le don de la mettre en rage en une demie seconde. Joël savait qu’elle avait du tempérament, mais il se trouvait là confronté à une véritable furie. Elle avait toujours mal supporté les frustrations. Son père, mon cher oncle, se sentant coupable de la laisser si souvent seule, lui avait toujours passé tous ses caprices. Inutile de dire que son caractère s’était forgé à cette aune.

De mauvaise humeur pendant tout le séjour, Séverine avait tant et si bien torturé son jeune époux, qu’il lui avait tourné le dos chaque soir. Sensible malgré tout au symbole de la lune de miel, elle avait ressenti dans cette solitude un immense chagrin, le sentiment d’être incomprise… Et de fait, elle l’était.Leur divorce était prononcé trois mois plus tard.

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lundi, septembre 26, 2005

Préambule

Au bout du troisième divorce de ma cousine, j’aurais pu raisonnablement espérer qu’elle cesse de vouloir à tout prix me faire rencontrer le Prince charmant. Ce fameux Monsieur parfait, dont on évoquait les ardeurs lors de nos soirées pyjamas d’adolescentes nunuches.

Pour ma part, j’avais renoncé à le rencontrer bien avant l’échec de son premier mariage. Ce n’était d’ailleurs pas tant un renoncement qu’une décision non dénuée de bon sens de ne m’occuper, dorénavant, que de moi-même.Non pas que je ne m’intéressais pas aux autres, loin de là, j’étais même plutôt accro à la chaleur humaine, à celle des hommes en particulier. Simplement, ma petite tête de linotte faisait de moi un danger permanent pour mon pauvre cœur d’artichaut. Je me leurrais sans arrêt sur les intentions d’autrui.

En tout cas c’est ce qui ressortait des quelques passions aventureuses qui avaient ponctué ma jeune vie jusqu’à ce que j’eus pris cette décision rédemptrice : demeurer célibataire.

Plutôt que les sentiments des autres, c’était surtout les miens qui me trompaient, à l’époque. Je rêvais debout pendant quelques temps, puis le garçon bien patient (il fallait l’être !), cible de mes yeux de merlan frit, m’éconduisait invariablement avec autant de délicatesse que possible. Je devenais muette, vexée comme un pou, mais assez honnête pour me dire que j'avais cru à un mirage; au demeurant je finissais toujours par le trouver ennuyeux comme la pluie. Et l'instant d'après je tombais amoureuse d'un autre. Ces garçons, toujours le même genre, formaient ce que j'appelais la race n°1.

Pour compléter le tableau, je massacrais les egos fragiles des petits êtres délicats du sexe faible qui succombaient à mon charme involontaire. Qui n'étaient d'ailleurs jamais les mêmes que ceux qui me plaisaient à moi : ils appartenaient à la race n°2.

Cette facétieuse ironie du destin faisait mon désespoir.

Un jour, je décidai de passer à l'attaque et de séduire un "race n°1". Je jetai mon dévolu sur un garçon ouvert d'esprit, de ceux qui ne s'arrêtaient pas à ma feinte indifférence... du moins son amicale sollicitude me l'avait fait accroire.D’abord, le décider à me demander de sortir avec lui fut une manœuvre de longue haleine. Il me fallait tourner autour de lui, lui tourner la tête sans lui faire comprendre que je mettais mes atouts en valeur pour lui plaire… bref, le frôler sans qu’il s’en aperçoive, tout en m’apercevant moi.Ce petit jeu eut raison de mes nerfs au bout de deux mois… je finis par le provoquer frontalement. Grave erreur. A son air narquois et sa façon de me dire oui du bout des lèvres, j’aurais dû me douter qu'il avait deviné mon objectif. Ma vanité m'empêchait de m'avouer à moi-même le peu de mystère de ma personnalité...Ce fut d’abord un film au cinéma, puis une soirée chez un de ses copains, et enfin il avait à tout prix voulu me traîner voir je ne sais quel stupide match de handball… un match de filles, en plus.

Au cours des deux premières sorties, je m'abandonnai littéralement à des sensations toutes nouvelles pour moi. Je ne me reconnaissais pas. Il mettait, je dois dire, un tel art dans chacun de ses gestes, qu'il me transportait littéralement. Je m'imaginai que ses attentions signifiaient assez son ardeur et m'enflammai. Deuxième fatale erreur.

Au cours du match de hand (Dieu que j’ai horreur du sport !), pendant lequel je tenais bêtement sous le boisseau mes commentaires acerbes sur la remarquable féminité du troupeau suant et beuglant sur le terrain, il m’a plaquée par un sec « Je préfère qu’on arrête de se voir », qu’a souligné, avec un à-propos déconcertant, un coup de sifflet véhément de l'arbitre.

Mon orgueil m’ayant défendu de demander pourquoi, et de verser une larme, je n’ai pas su quelle mouche l’avait piqué… Je restai prostrée et inconsolable plusieurs semaines, avachie dans mon canapé.

Après cinq ou six autres dénouements malheureux, alternant la douche froide et l'ennui, je prenais des allures de zombie. Mon corps criait grâce des désastreux épisodes de boulimie ou d'anorexie que je lui faisais subir.Pour finir, je devais choisir : soit épouser un gentil garçon qui m'aimait et qui ferait tout pour me donner ce dont j'avais besoin, de ceux de la race n°2, soit continuer à baver ad vitam pour des hommes inaccessibles, beaux comme des Dieux Grecs, de la race n°1.

Je refusais d'être une désabusée de l'amour, une"mal-baisée", qui tourne le dos à sa frustration et fait des compromis pour s'assurer une certaine sécurité sociale et matérielle. Je ne me sentais pas non plus de goût pour la vocation carmélite, genre martyre de l'amour, trop caricaturale.

Mais bon, j'étais largement consciente de ma fâcheuse propension à la rêverie et de mon manque total de discernement dans mes choix affectifs.

Alors j'entrepris une cure de désintoxication sentimentale, j’évacuai toute influence amoureuse de ma vie. Ma priorité n'était plus l'amour : c'était le sexe.

C'est alors, seulement alors, que je me suis épanouie. J'étais redevenue toute sereine, mon esprit se satisfaisait merveilleusement de savoir enfin où il allait, j'organisais ma vie pour n'avoir pas un instant de rêvasserie... Bref, je ne souffrais guère d’autre chose que du temps qu’il pouvait faire.

La solitude ? J’ai toujours eu des tas d’amis, et comme je ne suis pas sectaire, même des amis mariés avec des enfants… d’ailleurs c’est plus moi qui les ennuyais avec ma mine ravie de célibataire endurcie. Quand eux avaient les yeux en forme de valise et grinçaient des dents l’un sur l’autre pendant toute la soirée, je n’avais, moi, de compte à rendre qu’à moi-même. Situation fort confortable.

Ma liberté me rendait largement désirable aux yeux de bien des hommes de ma génération ou plus jeunes. Ce qui me laissait la possibilité de choisir mes prises de guerre. Je ne séduisais que les hommes célibataires, sans attaches et tout le temps en partance pour des destinations lointaines ou des études à l'autre bout de la France. En effet, nous partagions un objectif : nous amuser sans conséquence. Nous nous en donnions à cœur joie, et pour finir nous restions bons amis. Que demander de plus ?L'amour ? Je suis bien tombée amoureuse une ou deux fois. Les critères de mes choix étaient certes scientifiques, mes proies n'en demeuraient pas moins humaines. Moi aussi d'ailleurs... Et puis un cœur d’artichaut reste un cœur d’artichaut… Mais, par chance, ils étaient mariés. De sorte que la souffrance ressentie par mon ego était largement compensée par le sentiment d'être loyale. De fait, je me vante de n'avoir jamais fait rompre un ménage. J'ai quitté mes rares amants mariés (les autres aussi, au demeurant) bien avant qu'ils ne tombent amoureux de moi. Un homme met toujours bien moins de temps qu'une femme à se sentir attiré physiquement, et bien plus de temps à tomber amoureux. Nos pudeurs sont sexuées. Enfin, en général.