vendredi, octobre 14, 2005

6 - Virage

Lire le préambule - 1 - 2 - 3 - 4 - 5

Simon, dont je ne compris jamais comment il avait pu la croiser, demanda sa main à Séverine de la plus exquise des façons. Champagne, roses, bougies, violons, genou en terre, tout y était.
Ma cousine me donna à cette occasion l’adresse du blog de son cher et tendre, site internet dont j’ignorais et l’existence, et la raison d’être.
Après m’être régalée des photos splendides de leur grand moment, je m’intéressai au phénomène du blog proprement dit.
Dans les sphères trentenaires, le blog était le must, l’objet qu’il fallait avoir, l’agent relationnel de pointe.
Par goût de l’autodérision, ou peut-être au contraire un peu de narcissisme, j’en testai une ou deux versions personnelles, sans grande conviction, consciente que l’écriture de mon journal intime était un pensum autant pour moi que pour mes rares et éventuels lecteurs, et incapable de manipuler un appareil photo numérique pour autre chose que pour le métier. Mais si je renonçai à bloguer, j’étais une fidèle lectrice, et le site de Simon se mit à me passionner. Point tant pour les câlineries destinées à sa chérie, ou les longues envolées lyriques concernant ses lectures du moment, que pour les commentaires qu’il recevait.
Certains de ses blog-potes, ainsi qu’il les appelait, maniaient la plume avec verve, férocité et talent, et je butinais ainsi d’un site à l’autre, soir après soir, avant d’éteindre les lumières.
Parmi les favoris de mon marque-pages, se détachaient quatre ou cinq hommes… Les femmes avec du talent m’agaçaient prodigieusement, les femmes sans talent m’assommaient encore bien plus. Elles étaient donc bannies d’office, avec la plus parfaite mauvaise foi et la meilleure conscience qui soit : sans blog, je n’avais pas à justifier de cette misogynie crasse dont je me rendais coupable avec délectation.

La blogmania m’avait atteinte avec tellement de soudaineté que je m’obligeai, au moins deux soirs par semaine, à rechercher la compagnie de gens réels. Je ne me déplaçais jamais à Paris pour les soirées blogueurs. C’était loin, en milieu de semaine, et je n’avais pas d’affinités particulières pour la capitale.
Je me rabattais sur les soirées entre filles, toujours très agitées et arrosées, ou les sorties théâtre ou cinéma auxquelles je retrouvais toujours un groupe de copains férus ou une copine désireuse de raconter ses mésaventures conjugales.

Un soir de blues assez noir, après un restau avec l’une de ces mijaurées qui ont le secret de vous faire sentir si petite dans votre rôle social solitaire à force de descriptions détaillées de l’héroïsme dont elles font preuve chaque jour pour s’occuper de maris, enfants, associations de parents d’élèves et paroisses, j’errais par les rues dont les pavés luisants reflétaient l’orangé des réverbères, lorsque je tombai nez à nez avec un ancien copain de troupe de théâtre. Cela faisait 4 ans que je ne l’avais pas vu.
Il ne me fallut qu’une minute pour le reconnaître alors qu’il me débitait, pérorant, sa salade prétentieuse sur l’incompétence des directeurs de troupe et sa carrière désastreuse de comédien contrarié et incompris.
Il avait été mon amant –Dieu sait pourquoi… - et quand il eut la morgue de me le rappeler (nul n’avait dû lui apprendre combien cela relevait de la plus parfaite goujaterie) je mordis.
Et c’est à moi, que je fis le plus mal. Car lui, cuirassé de certitudes, n’eut sûrement même pas conscience de l’ironie décapante de mes réflexions sur ses capacités soi-disant viriles.
Je me rendis compte, dans l’agression que je lui destinai, qu’il n’y avait aucune chance pour que ma rédemption en passe par une vengeance contre ces imbéciles coupables d’être les pathétiques témoins de mon célibat. Ils n’avaient nullement profité de ma faiblesse mais avaient simplement consenti à un acte purement hygiénique, même si parfois il peut être, il est vrai, stimulant, acte auquel moi-même je participais avec entrain et, dois-je dire sans fatuité excessive, un petit talent personnel assez prisé.

Ce soir-là je réalisai véritablement que je n’avais plus la moindre envie de batifoler avec le premier venu, et que mes seules histoires d’amour, fût-ce avec des hommes mariés, étaient des histoires sincères et signifiantes. Qu’elles aient été ou non bénies de la réciprocité des sentiments.
Et comme non seulement Anthony ne comprenait pas ma sortie sardonique, mais qu’encore il semblait induire une suite et une fin de soirée ‘‘en souvenir du bon vieux temps’’, je pris résolument le parti de décliner fermement son offre, et toutes celles susceptibles de se présenter dorénavant.
Je ne savais pas encore ce que je cherchais, ou ce qui me motivait, mais je savais au moins ce que je ne voulais pas, les tentations fussent-elles insupportables, et je me devais de suivre cette intuition, la première concernant ma vie sentimentale depuis mon adolescence.

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3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Rha, daube en skaï. Trop tard !

samedi, octobre 15, 2005 8:11:00 PM  
Blogger Ardente said...

touchée...

dimanche, octobre 16, 2005 10:40:00 AM  
Anonymous Anonyme said...

Votre justification misogyne est excellente ! Je m’en resservirai à l’occasion.
J’aurais écrit « demanda la main de Séverine » plutôt que « demanda sa main à Séverine », et « mordit à l’hameçon » à moins que l’héroïne s’eût mordu la langue…

mardi, décembre 04, 2007 8:05:00 PM  

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