dimanche, novembre 27, 2005

12 - Les messages

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Le soleil devenant piquant, voire suffoquant, je me relevai pour me rafraîchir avant les heures les plus chaudes.
Au retour sur ma serviette, j’avais un message sur mon portable.
L’ennui avec les textos, c’est comme avec les coups de fil, on est tenté d’appuyer tout de suite sur le bouton ok du clavier. Les mains pleines de doigts mouillés et salés sont sensiblement du même effet sur la machine que l’eau de l’évier dans un cas tragique d’accident de vaisselle au moment crucial où la copine est en train de vous expliquer comment elle s’y prend pour prendre son pied avec un homme…
Je me contins donc assez longtemps pour essuyer consciencieusement mes doigts sur la serviette, puis m’étendre confortablement. Je pris mes lunettes de soleil, écartai le parasol, soulevai délicatement l’objet du désir jusqu’à mes yeux avides. Finalement, cette attente était jubilatoire… comme si je faisais languir quelque éphèbe.
Le message était de Tugdual. Mon joyeux plaisantin préféré, l’homme de toutes les situations, celui qui fait rire quand on n’a qu’une envie : pleurer.

Tugdual m’avait suivie et soutenue au cours de ma dernière liaison désastreuse. Je m’attachais beaucoup à lui, et j'avais l'insolence de croire que c'était réciproque. Il me tenait au courant de sa vie sentimentale, me demandant mon avis, évoquant tour à tour ses désarrois et ses fanfaronnades… Une amitié avec un homme est fort rafraîchissante et particulièrement solide, tout simplement parce qu'elle est basée sur la franchise. Au prix parfois de sérieux chocs pour l'ego, mais cela se révèle toujours très sain à long terme.

Son message du jour m’intriguait car il était censé partir sur l’Allemagne et donc être dans l’incapacité de me joindre.
J’allais le lire, lorsque j’entendis un joyeux « Eh ! Titiane ! » provenant de quelques mètres devant moi.
Dimitri.
J’étais vaguement restée en contact avec lui, plus par le biais des commentaires sur son blog qu’autre chose. Il était devenu un adepte de Tugdual, d’ailleurs, et ils semblaient s’entendre comme larrons en foire pour des soirées de beuveries auxquelles je ne participais jamais. Mais contrairement à Tugdual, je ne l’avais pas revu depuis le mariage.
Quand je posai le regard sur lui, je manquai de lâcher mon téléphone. Déjà, en tenue de soirée, il était d’une séduction à faire pâlir Keanu Reeves. En short, torse nu, il y avait de quoi damner une sainte. Ce que je ne suis pas.
Mais à la lueur de la férocité de ses notes bloguiennes, je ne me faisais aucune illusion sur l’issue d’un quelconque rapprochement de nos corps.
Je lui adressai donc un sourire gai, presque enfantin, arraché à des trésors de mauvaise foi.
Il était accompagné d’une bande de copains et de copines. J’eus tôt fait de remarquer la rousse qui le couvait du regard en se mordillant les lèvres, les mains agitées sur la bandoulière de son sac.
« Hello Dim ! Comment va ? » L’air dégagé, sûr de soi, le trouble enfoui sous dix mille tonnes de vernis social.
« Bien, et toi ? Tu aurais dû m’appeler, on serait venus ensemble ! » La décontraction faite homme. Autant dire qu’il était toujours le Diable. Et de plus, accompagné comme il l’était, j’aurais sûrement fait tache. Ils avaient tous l’âge des parties de beach volley, 24 ou 25 ans. Le grand gaillard blond posa sa serviette pas très loin de la mienne, où les infirmières étaient quelques heures auparavant. Il laissait à Dimitri la place de s’installer près de moi. La rousse était dépitée. Elle ne pourrait pas rouler des hanches juste sous ses yeux… Mon sourire devint moins innocent. Le sien me répondit, dérangeant, inaccessible. Mi ange - mi démon. Et son regard doré... une torture. Heureusement mes verres fumés me protégeaient. Mon visage est d’une expressivité quasi maladive. Je fais du théâtre, je sais m’en accommoder ; mais en l’occurrence cela devenait particulièrement gênant.
Pendant qu’il s’installait, je lus le message de Tugdual. Comme je ris aux éclats, il se pencha vers moi.
« Tugdual est en Guadeloupe. Il s’est décidé hier soir, il aurait dû partir en Allemagne, et finalement, non. Il a bouclé ses valises et hop ! »
Le rire suave de Dimitri atteignit mes oreilles avec un peu de retard... Saperlipopette, je n’avais donc aucune tripe pour être aussi guimauve !
Cornegidouille. Mon après-midi hédoniste était en train de tourner à la bagarre hormones / neurones, et le soleil écrasant n’était pas de mon côté. Moi qui voulais paresser et me relaxer, j’allais être sur charbons ardents.

Mais la troupe de copains de Dimitri m’offrit un exutoire salutaire. Installés comme si la plage leur appartenait, ils se donnaient allègrement en spectacle, faisant fuser les plaisanteries et les moqueries entre eux comme une bataille rangée de boules de neige… La phobie du rateau s’envolait, j’étais bien, je ne calculais rien, je profitais de l’instant. Je ferais face à ma libido le soir, au fond de mon lit.
Je décidai d’être bien. Pas un challenge, juste une ligne de conduite.

Le dialogue s’amorçait vaguement entre Dimitri et moi sur les aventures bloguiennes. Les autres s’intéressèrent à notre discussion, et moi à leur cercle.
Finalement, mes théories fumeuses sur la liste des activités à faire à la plage était très réductrice.
Je fis part à Dimitri de cette conclusion, qui embraya, m’exposa les siennes, et nous admîmes de concert que faire partie du paysage, ne pas être seuls, parler de sa vie à l’attention des oreilles indiscrètes, c’est aussi, pour le plaisir qu’on y prend, une façon intéressante d’aborder la côte…
« Débarquement réussi ! ». Aphorisme définitif de Laigle. Encore une private joke qui ferait l’objet de messages sibyllins sur les blogs. Cela ne ferait rire que nous, mais c’en était tout l’intérêt : le narcissisme se nourrit de lui-même.

Mon esprit partait en vrille sur les commentaires qui allaient s’échanger, sur la puissance de sa pensée et l’impression qu’il faisait sur moi, sur ses joues pas rasées, son corps bronzé, son…
« Tu es en train de brûler, Titiane. »
Ciel. Encore un numéro de télépathie.
« Ton dos est en train de rougir. »

Je masquai mon soulagement par une grimace et lui reprochai injustement d’avoir coupé mon élan pour prendre une douche au moment où il arrivait. Je me levai prestement avant que ses paroles goguenardes au sujet du message de Tugdual n’aient franchi sa bouche. Son sourire en coin avait déjà tout dit.


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