vendredi, septembre 22, 2006

24 - Aventures dominicales

Lire le préambule - 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 - 12 - 13 - 14 - 15 - 16 - 17 - 18 - 19 - 20 - 21 - 22 - 23

Là, sur le canapé à peine déplié de Coralie, Tugdual s'est littéralement effondré, encore tout habillé.

Je me suis démaquillée en admirant mon air pincé et mes cheveux trempés dans le miroir, une vraie figure de comedia del arte.

Néanmoins, avec la propension à l'optimisme qui me caractérise, je me dis qu'à toute chose malheur était bon : je venais enfin d'apprendre quelque chose d'essentiel sur Tugdual.

Il avait le vin dormeur.

Certains, comme moi, ont le vin gai, d'autres, que je ne fréquente pas et pour cause, ont le vin méchant ou bavard, lui avait le vin dormeur.

C'était un moindre mal, somme toute.


Le lendemain matin de bonne heure, encore à demie comateuse mais réveillée par une envie pressante comme seul le cidre peut en provoquer, je me précipitai vers la salle de bains, et voilà que j'y rencontrai Patrick, dont la présence en ces lieux confirmait ce que m'avait soufflé mon sixième sens : il avait passé une nuit de folie, à en juger par ses cernes bouffis et son torse velu dénudé. Il sortait de la pièce pourvu du même radar que le mien, de sorte que nous nous télescopâmes brutalement.

Je criai. Notre bousculade m'avait fait atrocement mal.

D'ordinaire, je dors en chien de fusil. Mais la présence de Tugdual à mes côtés, terriblement gênante, m'avait contrainte à m'allonger bien à plat, suffisamment loin de lui pour ne pas entraver ses mouvements, et dans une posture très raide pour juguler les miens. De sorte que je n'avais pu me rendre compte de ce qui, à la lueur du jour, s'étalait clairement sur mon flanc à présent : un énorme hématome, que Patrick venait de percuter, réveillant cruellement la douleur.

En voyant cela, le jeune homme poussa les hauts cris, réveillant toute la maisonnée :

_ « Pétard ! Comment tu t'es fait ça ? T'as percuté un camion ou quoi ? »

Grimaçant de douleur, je ne percevais aucun trace de sarcasme dans sa voix, plutôt de la stupéfaction. Aussi, je levai les yeux, et ce fut pour croiser son regard hébété. Mince, un crétin. C'est hélas souvent le cas avec les garçons faciles.

_ « Hum. Non. Je ne crois pas que je serais ici pour en parler. »

_ « Han. Ouais, p'têtre; mais tu devrais quand même te soigner... »

Je souris, pathétique, puis fermai la porte avant que Coralie ne pique ma place, car je l'entendais ouvrir la porte de la chambre.


La douleur en marchant se réveilla, j'en eus les larmes aux yeux.

Et je m'aperçus que j'étais incapable d'enfiler un pantalon, seul vêtement qui pût me permettre de rentrer en moto avec Tugdual.

Lequel, galant homme, ne me laissa pas le temps de respirer, me prit dans ses bras et m'emmena au CHU non sans avoir préalablement kidnappé les clés de voiture de Coralie et mis un jean.


Une vingtaine de radios plus tard, que mon assureur s'empresserait sans aucun doute de refuser de me rembourser, les médecins, à savoir les trois jeunes internes de garde ce dimanche aux urgences, après avoir dûment tâté ma nuisette chacun leur tour, étaient en mesure de diagnostiquer une bonne ecchymose, certes enflée et un peu douloureuse, mais inoffensive, et qui ne réclamerait que quelques massages à l'huile d'arnica.

Ignorant royalement Tugdual ainsi que le pépé qui patientait en geignant depuis trois quarts d'heure avec son pouce retourné dans le box d'à côté, ils me proposèrent même des soins intensifs à domicile. J'eus à peine le temps d'apprécier la silhouette du plus avenant, que Tugdual fit remarquer d'un ton assez sec que, d'une part, j'habitais Rennes et que, d'autre part, je disposais du nécessaire, merci.

Les trois compères partirent en riant pour enfin s'occuper de mon voisin d'infortune, et je restai en tête à tête avec mon chevalier servant, qui garda cependant ses distances nonobstant mon total désarroi, véritable appel à une débauche de tendresse.

Le dimanche étant gâché pour le travail, il me mit au train affublée d'une robe de Coralie sans écouter mes protestations (j'adore ma copine mais son goût vestimentaire est pour le moins contestable), et arrivée à la gare de Rennes, je le trouvai en compagnie d'un taxi, prêt à me ramener chez moi et à s'assurer que je pourrais me mouvoir avec une certaine autonomie.

J'avais beau être vexée par sa capacité à garder la tête froide en toutes circonstances, et par ses façons non moins réfrigérantes, je ne pouvais m'empêcher d'apprécier avec bonheur sa diligence à mon égard.


Arrivés dans mon appartement, nous commandâmes une pizza pour calmer notre faim (nous n'avions rien mangé en patientant des heures aux urgences), et nous nous installâmes devant la télévision, moi un plaid sur les genoux, lui un coussin sous ses pieds posés sur la table basse.


Bercée par les dialogues de la série « Urgences », je me laissai doucement glisser dans la torpeur bienfaisante instillée par les analgésiques, ma tête dodelinant vers son épaule, et je sentis comme dans un rêve, sa bouche se poser sur la mienne.


Lire la suite