mercredi, octobre 26, 2005

7 - Les poules

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Je rentrai chez moi la tête haute, ne traînant plus la savate.

Je me ruinai le lendemain même chez l’esthéticienne ; l’arrivée du mariage de Séverine et Simon était proche, j’étais encore conviée le surlendemain à ce qu’il n’était plus convenu d’appeler l’enterrement de vie de jeune fille de mon adorée cousine qui deviendrait sous peu une nouvelle Rennaise à part entière, voire une collègue par alliance.

Pour l’occasion de cette soirée, qui devait finir en liesse en compagnie de l’entourage masculin des futurs, toutes les filles s’étaient déguisées en poules.
J’avais trouvé intelligent de faire preuve d’originalité en me déguisant non pas de plumes, mais d’une espèce de monstrueux fac-similé de poulet rôti en carton pâte que j’avais dégoté au fond du magasin de décors d’un théâtre du quartier du Blosne.
J’avais certes mon petit succès en déambulant sur la Place du Parlement de Bretagne ou Avenue Janvier, récoltant outre quelques euros pitoyables, des quolibets joyeux et une bonne dizaine de flashes aussi intempestifs qu’étrangers à notre réunion improbable.
Mais je dois dire que le clou de la soirée fut mon entrée dans le restaurant.
J’eus évidemment toutes les peines du monde à pénétrer par la simple porte vitrée de la Poule au pot, et il fallut l’intervention charitable d’un brave monsieur nanti de sa dame, qui poussaient, et du garçon, qui tirait, pour me faire traverser l’obstacle. Mon costume y laissa les plumes qu’il n’avait pas… ce fut du moins la teneur de la première blague du témoin de Séverine, Tugdual, et il en fit rire plus d’un. Il faut dire que l’assemblée était déjà passablement éméchée, y compris les filles. Elles étaient si secouées de rire qu’aucune d’elles n’avait eu la présence d’esprit de venir à mon aide.

Arrivée dans la place, il me fallait encore louvoyer entre les tables jusqu’au fond de la salle –c'est-à-dire renverser deux ou trois verres sur les robes trop élégantes en ânonnant un vague « pardon » aux malheureuses victimes de ma soif inextinguible de me faire remarquer.
Mes congénères avaient pour la plupart joué le jeu elles aussi, mais leurs tenues étaient plus sobres. Les hommes, fort habilement lâches, avaient renoncé à se travestir prétextant que pour ‘‘jouer au paintball ce n’était pas pratique’’.
Bien sûr, Séverine, fine mouche, désirant rester la reine de la soirée, pour la cinquième fois de sa vie (trois enterrements, deux mariages…) avait usé d’un subterfuge ma foi assez adroit pour transformer sa tenue de canard en une tenue plus citadine, et bien sûr plus sexy.

Et tandis que je suai sang et eau pour trouver le moyen de m’asseoir sur un tabouret que le garçon, décidément très alerte, avait eu la bonne idée de ramener de la cuisine en se doutant que mes ailes et mon croupion ne m’autoriseraient pas de dossier, je la vis fraîche, pimpante, refaite à neuf, exhibant ses splendides gambettes que j’avais toujours secrètement jalousées sous une mini jupe audacieuse.

Je fis encore quelques dégâts à notre table, pour finalement m’apercevoir que mes bras ne dépasseraient pas suffisamment du corps de la bestiole pour atteindre ma fourchette, mon couteau et mon assiette.

Simon s’entretenait avec force dérision de mon incompétence totale en matière de choix vestimentaire avec son voisin de droite, ce qui attira inévitablement mon attention pourtant largement captée par une tentative désespérée d’organisation de mes gestes maladroits.

Cet homme devait être le diable.
De son t-shirt sortait une toison virile, et ce fut la première impression magnétique que je ressentis de la soirée. Son visage sculpté à la serpe, ses yeux bruns ourlés de longs cils, sa chevelure noire, épaisse, ondulée, son air, son allure, tout de lui, enfin, était un choc physique.
J’en aurais presque oublié le douloureux ridicule de mon accoutrement, si je n’avais pas ressenti subitement l’inconfort d’une telle chaleur.
Empêtrée dans mes mouvements, offusquée des moqueries plus ou moins douteuses qui pesaient sur mon pauvre poulet rôti (Est-ce bien la peine de commander ? on n’a plus qu’à se servir ! Garçon, s’il vous plaît ! un couteau de cuisine et vingt cornets de frites !)… je pris le parti d’en rire doucement et de m’éclipser pendant que l’attention se tournait vers le joyeux plaisantin, Tugdual, avec autant de grâce qu’à mon entrée. Cette fois, je manquai de peu la bouteille débouchée de cidre sur la table.
Je cavalai –autant que faire se pouvait– à mon appartement et, devant la plaque de mon bureau fermé, fus à nouveau angoissée.
Par quelle incroyable intuition le Diable avait-il compris mon dilemme ? Il m’avait suivie, ou plutôt rattrapée, mes pénates n’étant situées qu'en haut de la rue.
Il me tapota sur la cuisse –c'est-à-dire l’épaule– et me dit simplement : « Séverine m’a dit que vous auriez sans doute besoin d’aide… »
Sa naïveté était rafraîchissante. Au moins ne prétextait-il pas que j’étais irrésistible avec mon grimage et ma tenue. Et le fait était, j’avais besoin d’aide.
Mais je n’allais pas l’avouer ainsi de but en blanc, sans protester, perdant la face que j’avais déjà complètement ravagée pour y dessiner le brin de persil.
J’en étais là de mes états d’âme, lorsque je m’avisai qu’avec la pluie, mon état tout court allait tourner au désastre sous peu.
En outre, habituée que j’étais à ce que mes sursauts d’orgueil tournent au désastre, je pris le temps assez court d’une mûre et sage réflexion pendant laquelle il fixait, perplexe, mes dents en train de mordre ma lèvre inférieure verte, et ma langue qui passait dessus.
Ce regard, accentué par les lumières urbaines, donnait une tournure démoniaque à mes pensées.
Son sourcil se souleva, je le trouvai irrésistible. Aussitôt, le panneau rouge se mit à clignoter au-dessus de sa tête : « race numéro un, race numéro un ».
Je décrétai en mon for intérieur que je n’avais rien à espérer, et résolus d’être pragmatique en dépit de mes jambes flageolantes.
Je déclarai :
« Je ne peux pas passer par l’escalier commun avec ça. Il faut que je passer par le bureau, mais je ne peux pas me baisser pour ouvrir les verrous.»
Il me prit des mains le trousseau de clefs, et exécuta la manœuvre d’un geste énergique.

Il s’effaça pour me laisser passer. Race numéro un galant. La pire.
Je l’invitai à refermer le rideau tandis que j’allumais la lumière.
J’aime le calme minéral qui règne dans mon espace, toujours trompeur, si plein d’éclats. Il parut ébahi devant mes trésors rangés dans des tiroirs couverts de feutrine, posés sur les tables.
J’évaluais mes chances –très minces– de me débarasser pudiquement de mon déguisement pour grimper les escaliers, lorsqu’il m’évita d’un mot une humiliation supplémentaire.
« Je me retourne, vous pouvez y aller ».
Il s’absorba dans la contemplation de la vitrine de pierres brutes.
Tandis que je m’escrimais avec les courroies supposées retenir l’engin sur mes épaules, ahanant à qui mieux mieux et risquant à chaque instant de transformer mon lieu de travail en une œuvre de happening post-moderne, je l’entendis s’éclaircir la voix.
« Euh… un coup de mains ? »
Et là je réalisai dans quel piège subtil ma cousine m’avait encore mise. Et je ne savais même pas le prénom de mon sauveur-malgré-lui.
« Je m’appelle Dimitri. »
Une race n°1 encore plus dangereuse que les galants. Les télépathes.
Magie noire, évidemment. C’était le Diable, j’aurais dû m’en douter…
Il s’approcha de moi et entreprit de délacer les bretelles de cuir qui m’entaillaient la peau même à travers le t-shirt que j’avais eu l’incroyable bonne idée de mettre sous l’attirail.

Lorsque nous vînmes à bout chacun d’un côté de l’appareillage infernal, celui-ci chut en écrasant nos orteils respectifs avec la plus grande incongruité et un sens peu commun de l’atmosphère torride qui était en train de m’électriser tout à fait.
J’étais désormais dans une tenue plus qu’inappropriée pour une présentation dans les règles de l’art. Je tins donc ma langue avant de lui délivrer mon prénom qui avait toujours le don de m’attirer les plus délicieuses remarques, comme ‘‘la Vénus d’Urbino ?’’
Il m’aida sans mot dire à m’extraire de la carcasse.
Avec mes escarpins de danseuse, je faillis évidemment m’étaler et il me rattrapa in extremis avant que je ne m’ouvre le crâne sur le comptoir de bois et de verre.
Je me hâtai de me redresser, mais dans ma précipitation trébuchai encore sur le bord de la cuisse du poulet, et je finis dans ses bras, dégoulinante de sueur et de pluie, sentant le chien mouillé. La séduction personnifiée.
Il ne broncha pas.
Je repris contenance avec le plus grand stoïcisme. Connaissant mon aptitude très limitée à résister à mes pulsions, je me fis un effet extraordinaire. Je fus en mesure de redresser les épaules avec assez de fierté, et de ridicule compte tenu de ma tenue…
Je filai vers l’arrière du magasin pour grimper mon escalier. Le son de sa voix m’arrêta.
« Euh… Titiane ? »
Il connaissait mon prénom. Hips.
« Pourrais-je utiliser vos toilettes ? »
Laisser le Diable utiliser mes toilettes… laissez-moi réfléchir…
Il me suivit dans l’escalier en colimaçon, le nez sur la maille gigantesque qui avait filé sur mon collant, échelle pour le moins importune et qui soulignait si bien la peau d’orange de mes cuisses et le slip tanga en peau de léopard collé à mes fesses…
Je pris l’air dégagé en arrivant en haut et lui indiquai la salle de bains, puis filai chercher une tenue appropriée pour terminer la soirée.
Lorsqu’il libéra les lieux, le fumet flottant dans la pièce me libéra de tous mes complexes.
Je sortis un quart d’heure plus tard, douchée, ravalée, moulée d’une robe ultra-sexy, et le trouvai en train de feuilleter sur mon canapé un magazine professionnel. Qu’il lâcha aussitôt à mon arrivée.
En dépit des sous-entendus lourds et persistants de ma cousine, nous n’échangeâmes pas trois mots de plus ce soir-là. Je l’ignorai superbement et sans arrière-pensée, et de la même manière il ne m’accorda aucun intérêt marqué.

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vendredi, octobre 14, 2005

6 - Virage

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Simon, dont je ne compris jamais comment il avait pu la croiser, demanda sa main à Séverine de la plus exquise des façons. Champagne, roses, bougies, violons, genou en terre, tout y était.
Ma cousine me donna à cette occasion l’adresse du blog de son cher et tendre, site internet dont j’ignorais et l’existence, et la raison d’être.
Après m’être régalée des photos splendides de leur grand moment, je m’intéressai au phénomène du blog proprement dit.
Dans les sphères trentenaires, le blog était le must, l’objet qu’il fallait avoir, l’agent relationnel de pointe.
Par goût de l’autodérision, ou peut-être au contraire un peu de narcissisme, j’en testai une ou deux versions personnelles, sans grande conviction, consciente que l’écriture de mon journal intime était un pensum autant pour moi que pour mes rares et éventuels lecteurs, et incapable de manipuler un appareil photo numérique pour autre chose que pour le métier. Mais si je renonçai à bloguer, j’étais une fidèle lectrice, et le site de Simon se mit à me passionner. Point tant pour les câlineries destinées à sa chérie, ou les longues envolées lyriques concernant ses lectures du moment, que pour les commentaires qu’il recevait.
Certains de ses blog-potes, ainsi qu’il les appelait, maniaient la plume avec verve, férocité et talent, et je butinais ainsi d’un site à l’autre, soir après soir, avant d’éteindre les lumières.
Parmi les favoris de mon marque-pages, se détachaient quatre ou cinq hommes… Les femmes avec du talent m’agaçaient prodigieusement, les femmes sans talent m’assommaient encore bien plus. Elles étaient donc bannies d’office, avec la plus parfaite mauvaise foi et la meilleure conscience qui soit : sans blog, je n’avais pas à justifier de cette misogynie crasse dont je me rendais coupable avec délectation.

La blogmania m’avait atteinte avec tellement de soudaineté que je m’obligeai, au moins deux soirs par semaine, à rechercher la compagnie de gens réels. Je ne me déplaçais jamais à Paris pour les soirées blogueurs. C’était loin, en milieu de semaine, et je n’avais pas d’affinités particulières pour la capitale.
Je me rabattais sur les soirées entre filles, toujours très agitées et arrosées, ou les sorties théâtre ou cinéma auxquelles je retrouvais toujours un groupe de copains férus ou une copine désireuse de raconter ses mésaventures conjugales.

Un soir de blues assez noir, après un restau avec l’une de ces mijaurées qui ont le secret de vous faire sentir si petite dans votre rôle social solitaire à force de descriptions détaillées de l’héroïsme dont elles font preuve chaque jour pour s’occuper de maris, enfants, associations de parents d’élèves et paroisses, j’errais par les rues dont les pavés luisants reflétaient l’orangé des réverbères, lorsque je tombai nez à nez avec un ancien copain de troupe de théâtre. Cela faisait 4 ans que je ne l’avais pas vu.
Il ne me fallut qu’une minute pour le reconnaître alors qu’il me débitait, pérorant, sa salade prétentieuse sur l’incompétence des directeurs de troupe et sa carrière désastreuse de comédien contrarié et incompris.
Il avait été mon amant –Dieu sait pourquoi… - et quand il eut la morgue de me le rappeler (nul n’avait dû lui apprendre combien cela relevait de la plus parfaite goujaterie) je mordis.
Et c’est à moi, que je fis le plus mal. Car lui, cuirassé de certitudes, n’eut sûrement même pas conscience de l’ironie décapante de mes réflexions sur ses capacités soi-disant viriles.
Je me rendis compte, dans l’agression que je lui destinai, qu’il n’y avait aucune chance pour que ma rédemption en passe par une vengeance contre ces imbéciles coupables d’être les pathétiques témoins de mon célibat. Ils n’avaient nullement profité de ma faiblesse mais avaient simplement consenti à un acte purement hygiénique, même si parfois il peut être, il est vrai, stimulant, acte auquel moi-même je participais avec entrain et, dois-je dire sans fatuité excessive, un petit talent personnel assez prisé.

Ce soir-là je réalisai véritablement que je n’avais plus la moindre envie de batifoler avec le premier venu, et que mes seules histoires d’amour, fût-ce avec des hommes mariés, étaient des histoires sincères et signifiantes. Qu’elles aient été ou non bénies de la réciprocité des sentiments.
Et comme non seulement Anthony ne comprenait pas ma sortie sardonique, mais qu’encore il semblait induire une suite et une fin de soirée ‘‘en souvenir du bon vieux temps’’, je pris résolument le parti de décliner fermement son offre, et toutes celles susceptibles de se présenter dorénavant.
Je ne savais pas encore ce que je cherchais, ou ce qui me motivait, mais je savais au moins ce que je ne voulais pas, les tentations fussent-elles insupportables, et je me devais de suivre cette intuition, la première concernant ma vie sentimentale depuis mon adolescence.

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mardi, octobre 11, 2005

5 - Rétroviseur

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Cependant, l’attitude qu’elle avait eue ces quelques mois entre les quatre murs qui m’abritaient seule désormais, m’avait quelque peu révélé mes propres contradictions. J’étais une âme assoiffée de romantisme, et le sexe pour le sexe ne me paraissait rien moins qu’entièrement dénué d’intérêt.
Ma vie était emplie de non-sens. Mes amants me tournaient le dos sans regrets, sans peine… et je n’en avais pas davantage à leur égard. Même si je n’en changeais pas chaque soir, exercice qui eût été périlleux et compliqué pour une femme débordée comme je l’étais, je voyais bien que leur place dans ma vie équivalait à des soirées théâtre, musique, sorties entre amis, le souvenir en moins.
Le plaisir éphémère me devenait banal et routinier. Et cela en était affligeant.
A un certain point, je préférais un bon livre, un disque de jazz et un verre de Pessac Léognan Château Brown 1991 à une occupation physique certes assez saine, mais sans aucun piment – fût-ce avec Laurent De Vargas dont je ne tarissais pourtant pas d’éloges au cours des soirées-filles auprès des oreilles envieuses et concupiscentes de mes copines-mariées-deux-enfants-vie-sexuelle-niveau-chaussettes.
J’en étais consciente, j’allais tôt ou tard abandonner, au moins partiellement, mon choix de vie.

Il me fallait donc trouver d’autres viatiques à ma soif débordante de contacts humains.

Je trouvai d’abord à apaiser ma solitude dans de menues activités de charité chrétienne, telle que sortir le chien de ma voisine de 76 ans, dénoyauter les cerises de ma mère pour qu’elle en fasse des confitures… tout cela n’eut qu’un temps, assez court, quand je réalisai que le lendemain on m’en demanderait quatre fois plus, et qu’en outre cela donnait lieu à des discussions aussi insipides que déplaisantes sur les sujets les plus divers et de préférence entraînant des complaintes de tous ordres et des questions toutes plus gênantes les unes que les autres sur mon état quasi statutaire de vieille fille.
Négocier la suite fut donc assez délicat.

Je choisis le virtuel.

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vendredi, octobre 07, 2005

4 - Simon

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Au cours du mois d’octobre suivant, alors que Rennes était sous la pluie une nouvelle fois, Paul m’annonça leur divorce.
Je m’interrogeais sans trop d’illusion sur la raison de ce brutal revirement de leur passion, lorsqu’un courrier de Séverine m’apprit sobrement que Paul menait en fait une double vie, lié qu’il était à une femme mariée avant même leur rencontre.
Affligée pour ma cousine, je l’accueillis quelque temps à l’appartement.
Elle avait la chance de travailler en saison touristique dans des palaces comme hôtesse d’accueil, ce qui était assez rémunérateur pour lui assurer six mois de vacances sur douze.

Mon activité libérale de joaillière ne me laissait que deux ou trois semaines de vacances arrachées à la force de l’adversité économique : je concevais donc un certain dépit que la réunion joyeuse de nos deux célibats ne parvenait pas à effacer. D’autant moins que, pour couronner le tout, Séverine, pourtant jadis femme d’intérieur si soignée, s’ingéniait à mettre sens dessus dessous l’espace étriqué de mon domaine, ayant décrété qu’en tant que femme libre (et dûment désespérée par son chagrin d’amour), son droit le plus strict était le vautrage devant la télé, et le sabotage systématique de toutes mes tentatives de rangement minimal.
Nous manquâmes de nous brouiller sérieusement, lorsqu’au détour d’une de ses moultes expériences de la vie sexuelle débridée de célibataire bien faite, destinées entre autres à faire valoir la suprématie féminine sur le genre faible, ma colocataire, animée d’une fougue peu commune, en était arrivée à faire trembler le plafond de mon atelier à la faveur d’une de ses mémorables siestes crapuleuses qu’elle avait l’audace – de surcroît – de me raconter par le menu, s’assurant que j’étais suffisamment édifiée pour applaudir à ses exploits acrobatiques avec des amants aussi stupides que séduisants.
J’en fus réellement sidérée, elle qui quelques mois auparavant prônait le mariage de son ton le plus dogmatique, quitte à me proposer de sortir avec l’un de ses ex.
L’occasion de cet ultime épisode fracassant avait fait fuir de mon magasin mon ami Simon, le meilleur des orfèvres avec lesquels j’avais l’heur de travailler. Il m’avait plainte abondamment, plein de commisération pour les conditions douteuses dans lesquelles j’étais obligée de professer.
Sa pitié me fit prendre conscience des limites de ma tolérance, et je mis en demeure ma cousine de se trouver un autre baisodrome sur le champ (pas le Champ de Mars, comme elle put le prétendre, je ne lui en voulais pas à ce point là).
Elle partit le lendemain. Avec celui-là même qui m’avait extraite de ses griffes.

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mardi, octobre 04, 2005

3 - Deuxième danse

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Le mariage de Paul et Séverine fut un peu plus simple que le premier. Mais il fallut quand même danser avec le garçon d'honneur, et compte tenu de ma précédente expérience, j'étais prudente. Les circonstances, plus libres, me permirent de choisir un slow. Brice était très grand. Un collègue de basket de Paul, en fait. Le slow me faisait déjà ressentir ma petite taille, qu'eût-ce été avec une rumba ou une valse ?La musique diffusée ressemblait à du blues, et j'étais prête à me laisser aller, lorsque je sentis ses mains descendre plus que de raison sur mes hanches. Il ne s'arrêta pas là. Et pour finir, je fus bien obligée de le repousser brutalement. Ce faisant, le talon aiguille de ma chaussure droite s'entrava dans ma jupe longue, je titubai, puis finis par tomber à la renverse, le dos dans la salade piémontaise, les bras sur la présentation de charcuterie d'un côté, le pain de l'autre... Un vrai film de Buster Keaton.

Mon sens de l'humour reprit vite le dessus, de sorte que secouée de rires de la tête aux pieds je fus incapable de me relever seule, et il finit par m'aider, tout penaud. Alors que toute l'assemblée s'inquiétait de ma robe et de ma coiffure, il n'y avait que ma cousine, l'âme charitable, pour partager mon hilarité... Mais elle fut bientôt rejointe par tous les autres convives. Aussi je pus m'éclipser... et constater les dégâts irréversibles causés à ma tenue de cocktail par les mayonnaises, vinaigrettes et autres moutardes.

Ce deuxième épisode de fou-rire n'était pas désagréable... quoiqu'un peu coûteux, ma tenue étant définitivement abîmée. Mais lorsque ma cousine m'apprit qu'elle avait jugé bon de suggérer à Brice que je serais disponible et favorable à l'aventure, j'en conçus une certaine rancœur. Non seulement elle ne cessait pas, à chacune de nos entrevues pourtant rares et assez courtes, de vouloir me faire rencontrer l'âme sœur, mais en plus elle devançait mes désirs...

Je lui reprochai de ne pas m'avoir demandé mon avis avant de me jeter dans les bras de cet escogriffe fort prévenant au demeurant, mais un peu trop gauche pour faire un bon amant (et c'était bien la seule chose qui m'intéressait alors). Je lui déclarai, non sans une certaine mauvaise foi, que j'étais prise et très éprise, histoire de couper l'herbe sous les pieds de ses défenses.

Mal m'en prit : j'aurais dû insister pour qu'il vienne au mariage, il fallait à tout prix que je le lui présente, est-ce que Paul le connaissait... elle m'assaillit littéralement de questions, portant sa curiosité à la limite du gênant. Je fus bien obligée, quelques jours plus tard, de lui avouer le stratagème. Mais la quantité de détails qu'elle me demandait de lui révéler me fit prendre conscience que mes relations avec les hommes, pour satisfaisantes qu'elles fussent, n'en étaient pas moins vides et superficielles.

Ce fut la première fois que je ressentis une telle solitude.

Je pris le parti de m'en distraire éperdument, en me lançant tête la première dans une nouvelle aventure, une de celles qui me conduisit à un amour impossible avec un homme marié.Pour finir, je pris la résolution de ne plus danser avec les hommes que ma cousine me présenterait, à ses mariages ou dans d'autres circonstances.
Décision bien présomptueuse.

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