mercredi, septembre 13, 2006

21 - Grill égale fébrile

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En fait de premier pas, d'ordinaire, je suis plutôt douée pour mener le jeu de la séduction. Le conseil de Coralie n'aurait dû, par conséquent, ne me poser aucun problème pour peu que je l'écoutasse.

Seulement, la question à laquelle je devais répondre avant de décider si je devais gagner Saint Malo revêtue d'un ensemble de lingerie affriolant et d'une robe moulante, c'était : est-ce que je tenais à Tugdual ? Suffisamment pour lui courir après ?


Je ne pouvais ignorer, quelque envie que j'aie de ressentir ses baisers sur moi, que Tugdual ne saurait se contenter d'une aventure, que d'ailleurs notre amitié, aux sentiments nobles et profonds, n'y survivrait sûrement pas.

C'était même la conclusion à laquelle chacun de nous était arrivé après notre dernière entrevue : nous en avions explicitement convenu dans un email quelques semaines plus tard, quelques semaines où nous ne nous étions pas contactés, ce qui nous avait permis de prendre assez de recul pour en rire ensemble.

Seule une relation durable pourrait exister entre nous. Or, une relation durable, pour moi, ne pouvait être fondée que sur une forme d'amour véritable.


C'est une chose de s'éprendre d'un homme marié, ce qui n'engage à pas grand chose si ce n'est quelques brèves étreintes clandestines, c'en est une autre que d'envisager avec passion un homme libre de toute attache et en âge de vouloir devenir un père.


L'humour, la gentillesse, l'intégrité et le courage de Tugdual, qui venait tout de même de risquer un nouveau refus et ma mauvaise humeur pour me souhaiter mes euh... disons 32 ans... me le rendaient irrésistible. Et curieusement, la douceur de sa peau, son parfum, sa force, sa taille, qui restaient imprimés en moi avec persistance, n'étaient pas les premiers atouts qui me venaient à l'esprit lorsque je songeais à lui, et pourtant j'y étais fort sensible.


Voilà, son plus gros défaut, c'est qu'il était disponible. Et ce fait me terrorisait.


Je restai donc entre deux eaux pendant toute la semaine suivante, perturbée au point de ne rien faire de bon de mes journées. Tout au plus parvenais-je à faire mes comptes, à la grande satisfaction de mon comptable, mais aussi au dépit de Coralie qui me tannait pour savoir ce que je faisais pour revoir Tugdual.

Lors d'une de nos discussions skypées (fabuleux outil que l'informatique !), excédée par son insistance fort déplaisante, je finis par hurler que, si ça se trouve, Tugdual avait fait ça en ami, que je m'étais trompée, puis je raccrochai brutalement au nez de mon amie.


Fabuleux. Voilà que je me brouillais non pas avec une mais deux personnes chères.


Le lendemain de cette veillée fort agitée, après une nuit blanche comme celles qu'on doit à une conscience torturée, je me prononçai en faveur d'un petit message électronique à l'un comme à l'autre, pour m'excuser auprès de Coralie, et prendre à la rigolade la visite impromptue de l'objet de mes tourments, que je présupposai amicale.

Chose que je ne faisais jamais d'ordinaire, je tentai de me justifier sans en avoir l'air en expliquant la position délicate dans laquelle il nous avait trouvées, Coralie et moi, comme le résultat de quelques excès tardifs. Ce qui était l'exacte vérité, paraissait néanmoins sous ma plume (mon clavier) comme une affreuse maladresse. Mais mon instinct me dictait de refuser de traiter l'affaire avec légèreté. Le message partit donc, accompagné d'une invitation.

Car, pour déroger à mes méthodes assez directes de conquête, je conviai ou plutôt susurrai à Tugdual de m'accompagner à un concert que ni lui ni moi ne pouvions manquer, puisqu'il s'agissait d'un de nos groupes favoris : la Ruda Salska.


J'appuyai sur la touche Entrée pour envoyer mon message. Puis je passai le reste de la journée du jeudi, que d'ordinaire je consacrais à la taille des pierres, à valser entre mon atelier et mon ordinateur situé à l'étage, dans l'appartement, pour guetter sa réponse.


Ce manège de midinette, qui par ailleurs me garantissait des mollets de danseuse et un ulcère propre à concourir avec mon assureur, ne m'était pas arrivé depuis le lycée. J'en avais presque honte, mais je ne pouvais m'en empêcher : j'en étais à me ronger mes superbes ongles déjà coupés très courts pour les besoins de ma profession, lorsque je reçus un simple avis de lecture à 21 heures.

Mon anxiété redoubla alors, et ce n'est qu'à trois heures du matin (je me levais toutes les heures pour vérifier s'il m'avait répondu), que la réponse, laconique, arriva enfin :

« Salut, je suis en Belgique pour le travail. Pour le concert, je ne sais pas encore. Je t'appellerai. »

Aucune allusion à sa visite du dimanche ou à ma laborieuse explication, aucun mot d'affection, pas même une de ces petites blagues dont il était coutumier. Le grill venait donc juste de s'allumer, et il promettait d'être fort vif.

Que resterait-il de moi s'il ne me rappelait pas avant le week-end ?


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